SECONDE LETTRE SUR LA SUBVERSIVITÉ DE L’ŒUVRE D’ART
quelques hypothèses
Plus riche aujourd’hui de quelques réflexions et de quelques découvertes (voir De la nécessité de choquer), il me faut pourtant, pour que mon enquête progresse, vérifier certaines hypothèses.
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La première hypothèse tient en ceci: il existerait, depuis Duchamp, non pas un courant artistique (l’art contemporain), ni une infinité ou aucun comme il a déjà été suggéré par d’autres, mais bien deux courants artistiques, soient l’art contemporain et l’art actuel, avec des objectifs semblables mais jouant chacun un rôle différent au sein de la société.
Ces rôles se définiraient justement par la nature de la subversion utilisée par chacun. Eh oui, tout revient toujours à ça, la subversion. Il semble que le rapport entre l’art et la société évoluée passât toujours par cette capacité de l’œuvre de remettre en question.
Une seconde hypothèse qui va de paire avec la première consiste en ceci: une scission – plus qu’une libération – eut lieu avec Duchamp. L’art avant Duchamp questionnait à la fois l’art et les mœurs. Depuis Duchamp, on questionnerait séparément ces deux choses.
Prenons le Déjeuner sur l’herbe de Manet. Cette œuvre fit scandale. Elle remettait en question les mœurs de l’époque et les codes artistiques tels qu’ils existaient alors (voir cette explication de idixa). La liberté que réclamaient les modernes, puis Duchamp, ne mena pas à l’abolition ni des règles en art, ni des règles régissant la vie de tous les jours (bien évidemment). Elle opéra une scission. On allait s’occuper des codes artistiques d’un côté (art contemporain) et du reste de l’autre (art actuel).
L’art contemporain ne se préoccuperait donc que de questionner l’art. Il ne se servirait de la population qu’à cette fin, s’en éloignant pour plusieurs raisons et grâce à plusieurs mécanismes. Il se nourrit du scandale, et donc du rejet. Il n’aurait pour objectif que la démonstration que l’art n’existe que pour permettre à certains de se distinguer (idée développée dans De la nécessité de choquer).
D’ailleurs à ce sujet, j’ai déjà formulé l’hypothèse que l’œuvre est maintenant la transaction elle-même; d’un même souffle, j’ai suggéré qu’il s’agit de la fin de la démonstration amorcée par Duchamp.
Autre aparté, Damien Hirst applique, il me semble, des idées suggérées dans mon article Le Dernier des renoncements, à savoir qu’il copie ses contemporains, sans scrupule, sans s’en cacher (The Art Damine Hirst Stole). Il copie parce qu’il est artiste, parce qu’il est Damien Hirst. Ceci constitue, à mon sens, le dernier des actes subversifs à l’intérieur du champ artistique et, comme je me plais à le répéter, marque la possible fin de l’art contemporain.
L’art actuel, par contre, sans rejeter le travail de l’art contemporain, s’en nourrissant même lorsque c’est possible, se préoccuperait davantage de questionner les mœurs, les valeurs.
S’il semble pourtant lui aussi bousculer le champ artistique, il ne le fait qu’en apparence, posant des questions qui ont déjà été posées par l’art contemporain. Elles ne sont de nature à choquer que ceux qui se tiennent loin de l’art contemporain et qui n’ont pas suivi son évolution. Elles provoquent perpétuellement les mêmes scandales puisque l’évolution de la perception de l’art chez la majorité de la population s’est arrêtée avec les modernes.
Donc l’un agirait sur un plan collectif, considérerait les individus les uns par rapport aux autres, le rôle de l’art dans la société, la place et la valeur de l’individu dans la société, l’autre agirait davantage sur un plan individuel, considérerait autrement le rapport individu/collectivité, questionnerait ce que la société apporte à l’individu.
Il me plaît de croire que l’art actuel puisse perdurer, de par sa nature. Mais rien ne me permet de prédire hors de tout doute la fin de l’art contemporain. Tant qu’il permettra à certains de se valoriser, tant que ses mécanismes seront opérant, il remplira sa fonction, loin des préoccupations communes.
Voilà où j’en suis dans ma réflexion. Qu’en penses-tu? Je t’imagines déjà échapper quelques «oui, mais». Ne te gêne pas. Une chose est certaine à propos de l’art, c’est qu’il est là pour qu’on en parle.
Affectueusement,
Benoît