LETTRE SUR LA SUBVERSIVITÉ DE L’OEUVRE D’ART
premiers constats
Tel que demandé, je te fais un compte-rendu de ma recherche concernant la subversivité en art.
Tout d’abord, un constat désolant. J’ai eu beau chercher, visiter tout ce que je pouvais comme exposition, je n’ai absolument rien récolté digne de répondre à mes questions ni même de nourrir mon raisonnement. J’ai vu des œuvres de toute sorte et de tout calibre. Plusieurs posaient de vieilles questions, les autres feignaient de le faire. Rien n’a provoqué chez moi de bouleversement, si petit soit-il.
Je ne veux pas te laisser croire que je n’ai rien apprécié de ce que j’ai vu. Bien au contraire! Je me souviens avec ravissement du travail de Berlinde de Bruyckere, par exemple. Oui, encore elle. Mais ce fut un véritable coup de cœur. Même si certains de mes amis m’ont avoué avoir été choqués, que ces œuvres n’aient pas provoqué chez moi les mêmes réactions dit bien, à mon avis, que le discours de ces dernières, sans être périmé, n’est pas nouveau.
Je t’entends d’ici objecter que le caractère subversif d’une œuvre devrait être mesuré du point de vue de la masse et non de celui d’un individu, encore moins de celui d’un artiste habitué à ce genre de choses. Tu n’aurais pas complètement tort. Mais avoue que si l’on tenait toute la population pour juge de ce qui est subversif, rien de l’art contemporain ne serait épargné. Et pourtant.
Je vais me permettre de spéculer sur ce qui, au sein de l’œuvre de Berlinde, a pu choquer. Travailler la peau animale comme s’il s’agissait d’un matériau banal, sans plus ni moins de noblesse que les autres, relève sûrement de la profanation pour plusieurs. Il y a là quelque chose du même ordre que dans ces corps humains plastinés qui ont été présentés dans le vieux port et qui ont aussi su choquer.
C’est sans doute la principale raison qui me fait aimer l’œuvre de Berlinde. Tu auras remarqué que je traite moi-même ce que j’ai choisi comme matière première, le corps humain, avec peu de déférence. Je le vois comme un bloc d’argile à travailler.
Ceci dit, je n’ai pas trouvé davantage de gens outrés, ni même ébranlés. J’ai l’impression que les artistes contemporains ont tant habitué la population à des surprises que, pour la surprendre, il leur faut maintenant faire quelques pas gigantesques au-delà des limites admises. En écrivant cela, je pense, bien sûr, à ce maestro des effets spéciaux qui su si bien alimenter l’ire de quelques bien pensants qu’on eut pu croire la peine de mort sur le point d’être rétablie juste pour lui.
Pourtant il y a moyen de remettre en question les idées admises sans avoir l’air de vouloir se débarrasser à la fois du bébé, de l’eau de son bain et de la salle de bains entière. Et il n’y a pas à chercher longtemps pour trouver des idées qui méritent d’être questionnées. Notre mode de vie, notre notion de beauté, notre perception de la mort, notre système politique, et j’en passe.
J’écris ces mots et me dis que ces idées sont questionnées depuis longtemps et revêtent même assurément un caractère relatif pour plusieurs grâce à la comparaison maintenant facile de notre société avec d’autres bien différentes. Il est peut-être là le problème. Nous vivons avec ces idées et doutons de leur valeur sans y renoncer.
Mais de quoi ne doutons-nous pas encore? En fait la réponse à cette question importe peu, la véritable question étant assurément pour un artiste «à quel doute veux-je participer?».
Je continuerai ma quête avec un œil nouveau. Avec vigilance, je tenterai de déceler à quelle rébellion tacite les artistes québécois participent.
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